L’Espagne veut récupérer ses jeunes cerveaux
Ils étaient partis par milliers. Pour échapper à la crise, de nombreux jeunes diplômés espagnols sont partis à l’étranger. Le gouvernement espagnol tente désormais de les faire revenir au pays. Pour atteindre cet objectif, il s’est doté d’un budget de 24 millions d’euros.
Un plan de retour de 24 millions d’euros. Pour récupérer ses jeunes talents, l’Espagne est prête à y mettre le paquet. Aide au déménagement, billet de retour pour eux mais aussi pour le transport de leurs animaux domestiques, voir même le paiement des premiers mois de loyer, l’Espagne est bien déterminée à inciter ses jeunes cerveaux à revenir au bercail.
Avec la crise de 2008 qui a frappé de plein fouet le pays, des milliers d’espagnols avaient quitté le pays, bon gré mal gré. Selon le quotidien El País, il n’y a pas de chiffre officiel permettant d’établir le nombre exact d’exilés espagnols partis en quête d’un avenir meilleur.
Pendant cette période, l’Espagne avait atteint un taux de chômage record en Europe, soit plus de 23,6% de la population active. D’après El País, entre 2007 et 2013, le nombre de chômeurs avec des études supérieures s’élevait à 900 000 personnes. Comme dans les années 50, les espagnols étaient repartis sur les routes de l’exil. Selon le président du Conseil Général des Citoyens Espagnols à l’Etranger (CGEE), Francisco Ruiz, il s’agissait cette fois-ci de “jeunes très qualifiés”.
L’appel d’Angela Merkel
Comme par exemple Ana Pastor, une jeune ingénieure de 28 ans, qui s’était portée candidate à l’exil. Au lendemain de ses études d’ingénieur, elle souhaitait partir en Allemagne. Elle explique qu’il y avait là-bas un déficit d’ingénieurs alors qu’en Espagne, ils étaient au chômage. « La combinaison parfaite”, selon elle. Ana voulait trouver ailleurs une évolution professionnelle que ne lui offraient plus les entreprises espagnoles, étranglées par la crise.
En 2011, elle est attentive à l’appel lancé par Angela Merkel et contacte Sébastien Sanz, directeur du bureau de recrutement international Ayova. Ce chasseur de tête avait également entendu le message de la chancelière et venait juste de créer le site “Trabajar en Alemania” (Travailler en Allemagne). Cette initiative était destinée à mettre en contact les entreprises allemandes en quête d’ingénieurs et les espagnols à la recherche de boulot. Pour les affaires de Sébastien, la crise a été une opportunité car il pouvait puiser dans un vivier de plus de 5, 3 millions de chômeurs.
Tous ne sont pas partis
Mais tous ne sont pas partis. Certains jeunes comme Maria ont choisi de rester. A 21 ans, elle est descendue dans la rue avec des milliers de jeunes espagnols pour manifester. Le 15 mai 2011, elle est venue exprimée à la Puerta del Sol le malaise de toute une génération. Pour elle, il était important de dire que «nous ne sommes pas une génération perdue mais indignée ».
Pendant des mois, Maria n’a plus trouvé de travail. Elle « survit », dit-elle. Elle aimerait se projeter vers le futur, reprendre des études, retrouver du travail, fonder une famille. Pour le moment, elle préfère ne pas y penser. Pour ne pas déprimer.
Jusqu’en 2010, Maria arrivait toujours à se débrouiller pour trouver des petits boulots. Elle signait parfois des contrats consécutifs d’une journée mais il y avait du travail. « Les choses ont commencé à se compliquer en 2010 », soupire-t-elle. Après des mois de recherche sans succès, elle a commencé à s’interroger. Que faire ? Reprendre des études ? Partir à l’étranger ?
Plutôt que l’exil, Maria a choisi de se battre « Je ne peux pas laisser mon pays dans cette situation. S’en aller maintenant, ce serait être lâche », explique-t-elle. Il faut affronter les problèmes et pas seulement nous les jeunes. Les espagnols devraient tous s’unir et descendre dans la rue », s’exclame-t-elle.
Désillusion
Ceux qui ont choisi l’exil se sont parfois retrouvés pris au piège. Maria explique par exemple qu’elle connaît « des gens tellement désespérés qu’ils partiraient n’importe où”, sans même connaître la langue. Certains sont d’ailleurs partis en Norvège sur un coup de tête, bercés par l’image du niveau de vie des habitants de ce riche pays en pétrole, raconte un reportage publié par El País. Mais au bout du voyage: la grande désillusion. Ils se sont retrouvés dans une situation encore plus précaire qu’en Espagne. La presse norvégienne les a même surnommés les “réfugiés de l’euro”. La ministre du travail Hanne Bjurstrom les avais sommés à l’époque de retourner dans leur pays. “Il n’y a pas de travail, rentrez chez vous”, avait-elle déclaré.
Appel au retour
Plus de dix ans après la tempête, l’Espagne est prête à débourser jusqu’à 3000 euros pour faire revenir ses exilés diplômés au pays. Ces jeunes possèdent ce que les entreprises espagnoles ne trouvent pas sur le marché actuel : ils parlent plusieurs langues et possèdent une expérience internationale. Mais selon le quotidien El País, pour les 2,5 millions d’espagnols résidents à l’étranger, ce n’est pas le travail qui va les faire revenir au pays mais plutôt leurs familles et les bonnes conditions climatiques du pays. Mais attention, la situation reste fragile. Un rapport de l’ONU paru en février 2020 fait état d’un taux de chômage très élevé et d’importants risques d’exclusion sociale.