Pascale Hugues invite les alsaciennes à s’affirmer
« Faites des vagues, ne soyez pas petites et gentilles ». Voici le message contenu dans « L’école des filles », le dernier roman de la strasbourgeoise Pascale Hugues, actuellement correspondante du Point et de Libération à Berlin.
Véritable ode à l’émancipation, remportée de haute lutte par les femmes de sa génération, «L’école des filles » dresse un portrait touchant de douze amies d’école, brosse un tableau poignant d’une société en pleine mutation et d’une Alsace marquée par les stigmates de l’histoire. 50 ans plus tard, Pascale Hugues revisite l’amitié qui lie ces amies d’école, interroge leur histoire personnelle sur fond d’analyse sociologique et historique d’une région tiraillée entre la France et l’Allemagne.
Le « Poesie Album », vestige de la présence allemande en Alsace
Pour raconter la vie de ses amies alsaciennes, Pascale Hugues se sert d’un objet qui a échappé aux velléités d’épuration du gouvernement français au lendemain de la libération de Strasbourg. Cet objet, c’est un recueil de poésie (« Poesie Album » en allemand). Un livret que lui avait offert sa grand-mère maternelle allemande quand elle avait neuf ans. « En 1945, les français ont épuré tout ce qu’ils pouvaient. J’ai trouvé très drôle qu’on avait oublié cet objet mineur », remarque-t-elle.
A la fois vestige de cette culture allemande qui n’a pas pu être complètement étouffée par les français et véritable sanctuaire des amitiés scellées pendant l’enfance, cet album de poésie devient un demi-siècle plus tard sa source d’inspiration mais aussi le fil conducteur de son récit. Ce petit fascicule qui ne la quitte plus depuis son enfance contient les petits poèmes de ses amies d’enfance. Une sorte d’«ancêtre de Facebook », « une plateforme similaire qui célèbre l’amitié », soulève l’auteure.
Portrait de profonds changements sociaux
En suivant la chronologie de ces poèmes, Pascale Hugues fait le portrait de ses douze amies avec beaucoup de tendresse. Un portrait qui interroge toute une génération de femmes, parle de leurs combats pour être indépendantes, pour s’émanciper du carcan patriarcal. « Ne fais pas de vagues, ne parle pas trop fort, ne te fais pas remarquer », voilà les injonctions constamment ressassées aux jeunes filles de son époque et que la journaliste invite à contester. Un ouvrage qui se veut avant tout féministe ? Pas seulement. Son récit est aussi une splendide étude sociologique qui met en lumière les bouleversements de toute une société. « Tout augmentait autour de nous : la courbe des naissances, l’espérance de vie, la croissance économique, la production industrielle, le nombre de bacheliers, les revenus, les allocations familiales, les retraites, le Smig, qui, le 1er juin 1968, fit un bond de 35%, le niveau de vie, le pouvoir d’achat, la consommation, la durée des congés payés et celle de nos vacances», peut-on par exemple lire dans «L’école des filles ».
Une histoire régionale passionnante et fracassée
L’auteur ne laisse rien au hasard et les histoires personnelles servent donc à parler de l’histoire régionale, à raconter les traumatismes vécus par une Alsace meurtrie par les affrontements qui ont eu lieu entre les deux pays. « Nous louchions sans cesse sur l’autre rive du Rhin », écrit-elle. « Parce qu’en Alsace, on menait une sorte de double vie », poursuit-elle.
Il ne fait aucun doute que c’est une histoire qui émeut celle qui se sent «d’abord alsacienne ensuite française puis allemande ». Pour elle, écrire ce livre fut en quelque sorte « une sorte d’alibi pour revenir en Alsace, renouer avec le passé », dit-elle. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Pascale Hugues se penche sur ses racines. Elle s’est déjà attachée à cet exercice dans un précédent ouvrage en racontant l’histoire de l’incroyable amitié qu’entretenait ses deux grand-mères « Marthe et Mathilde », l’une allemande, l’autre française. « A travers « Marthe et Mathilde », j’ai appris l’histoire de ma région que je ne connaissais pas » confesse la journaliste qui raconte avoir reçu des lettres touchantes de lecteurs qui la remerciaient de leur avoir fait comprendre l’histoire de leur région. Une histoire qui fascine l’auteure : « L’Alsace est l’une des régions les plus intéressantes de France car elle a une histoire tellement fracassée, tellement ambigüe », souligne Pascale Hugues qui regrette que la France ait réduit l’Alsace à l’image d’une « région prospère où l’on mange bien avec des cigognes et des géraniums ».
Pour changer cette image d’Epinal, elle invite les femmes alsaciennes à « traduire l’allemand pour les français ». « Soyez fières de votre région. Parlez allemand et parlez alsacien. Soyez fières d’avoir une double culture au lieu de la camoufler », martèle-t-elle. Cette double culture, Pascale Hugues la connaît très bien puisque depuis 1989, elle a choisi Berlin comme deuxième patrie. Une double culture à laquelle la strasbourgeoise rend un très bel hommage, une double culture qu’elle a héritée de sa grand-mère allemande, de ce petit album de poésie qui nous vaut aujourd’hui le plaisir de lire « L’école des filles ».
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