Wanted: Employé bilingue et qualifié
A la frontière franco-allemande, les entreprises cherchent la perle rare : un employé bilingue et qualifié. Car malgré leur proximité géographique, les sociétés de cette région peinent à recruter. Des deux côtés du Rhin, on multiplie les efforts pour y remédier.
En France ou en Allemagne, le constat est unanime. Que ce soit dans l’industrie, l’hôtellerie, la restauration, les métiers du bâtiment, les services sociaux et de santé, les conducteurs de bus, la logistique, « tous les secteurs d’activité sont en tension des deux côtés de la frontière», constate Rodolphe Rhit, responsable du Service Transfrontalier International à la Direction Régionale de Pôle Emploi Grand-Est.
Pour Patrick Brandmaier, le directeur de la Chambre de Commerce Franco-Allemande, ce problème « ne date pas d’hier ». Selon lui, il s’agit « d’une tendance enregistrée depuis longtemps dans les deux pays » et qui se pérennise. A l’origine de ce phénomène: le vieillissement de la population et la chute des naissances. Un cocktail explosif qui s’est accentué avec la crise du corona, estime-t-il.
Etonnamment, dans leur quête de personnel bilingue qualifié, les entreprises situées dans la région transfrontalière entre Strasbourg et Offenbourg ne sont pas mieux loties que les autres. A Offenbourg, Theresia Denzer-Urschel, présidente du Conseil d’Administration du Service de Placement Transfrontalier (SPT), fait le même constat que son homologue français. « Au Port du Rhin, à Kehl ou à Strasbourg, les entreprises cherchent à recruter », souligne-t-elle.
Elles se plaignent de ne pas trouver les candidats adéquats et ceci malgré les efforts déployés. C’est le cas du fabricant de composants électriques Hager Group qui après avoir investi un peu plus de 15 millions d’euros sur le site de Bischwiller, n’arrive pas à recruter de personnel correspondant à ses besoins. Pourtant, le responsable des ressources humaines Jonathan Kern explique qu’ils n’ont pas lésiné sur les efforts de communication.
Guillaume Dehaye, PDG de l’entreprise familiale franco-allemande Fromi, en a fait de même : petites annonces, posts sur les réseaux sociaux, attractivité des salaires ou mise à disposition d’une voiture de fonction. Rien n’y fait. Son entreprise d’exportation de fromages et d’épicerie fine a du mal à trouver un commercial bilingue, qui de plus est, serait prêt à vivre en Allemagne «C’est compliqué de faire déménager les gens en Allemagne », souligne-t-il.
Un service pionnier en Europe
Pourtant les efforts menés par les deux pays pour aider les entreprises à recruter n’ont pas été des moindres. Grâce à un accord de partenariat entre l’Allemagne et la France, un service pionnier de cinq agences transfrontalières pour l’emploi a été mis en place en 2013 pour endiguer le chômage local et couvrir les besoins des entreprises.
Et pour aider les entreprises de la région à dénicher la perle rare, les autorités des deux pays y ont mis le paquet : création d’un service spécialisé avec des conseillers dédiés à l’accompagnement des demandeurs d’emploi transfrontaliers, double inscription, aides à la formation.
Recrutements originaux
Même les méthodes de recrutement se veulent innovantes. Jobs datings inversés, recrutement par simulation avec des tests d’habileté ou stages vers l’emploi, tout est mis en œuvre pour endiguer un taux de chômage de longue durée affectant entre 60 et 70% demandeurs d’emploi inscrits dans ce service, précise Rodolphe Rhit.
Avec les « job-datings inversés », c’est un peu le monde à l’envers car ici, ce sont « les demandeurs d’emploi qui « sont assis à une table » et « qui reçoivent des entreprises qui ont des besoins de recrutement », explique le responsable du Service Transfrontalier International. Pour les stages, l’idée est de « regrouper des employeurs et des demandeurs d’emploi de façon anonyme » pendant une journée. Lors d’activités sportives pratiquées en commun, on espère que les compétences des candidats seront mises en lumière. Ensuite, des mini-entretiens pourront être organisés. Les entreprises de la région se sont également mises au diapason en lançant des initiatives innovantes pendant les « salons » ou des « job datings », comme en juin dernier dans les locaux de Hager Group.
Des efforts qui, selon Theresia Denzer-Urschel, auraient porté leurs fruits puisqu’ « entre 300 et 400 demandeurs d’emploi » ont réussi à être placés en Allemagne ou en France « dans les meilleures années ». De son côté, son homologue français constate qu’en «2021, il y avait 2800 demandeurs d’emploi avec un projet de mobilité transfrontalière. 1200 ont retrouvé un emploi, dont 60 % d’entre eux en Allemagne et 40 % en France ».
Encore des obstacles à surmonter
Malgré les succès engrangés, des obstacles sont encore à surmonter au niveau administratif, notamment pour les impôts et les droits sociaux, des freins à l’emploi qui prennent du temps à être écartés. Mais le principal obstacle reste celui de la barrière linguistique. Du côté des entreprises, on attend un certain niveau de maîtrise de la langue qui n’est pas toujours atteint par les candidats. Des deux côtés du Rhin, un même constat: il faut adapter les formations pour qu’elles soient en adéquation avec les besoins des entreprises.
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