Aurélie Carreau à Mons La Graveyre (Cambes)
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Aurélie Carreau ou  « la gueule du lieu » dans le palais

Dans ce reportage réalisé à Château Mons La Graveyre (Cambes) par Grégory Lassus-Debat (texte) et Isabelle Birambaux (photo et podcast) pour Tanintaquin.com, Aurélie Carreau nous fait part de sa passion pour la terre et pour la biodiversité qu’elle met au service de son vin.

 

Reportage

            La crosse du berger et le trident de Neptune flottent sur les vignes, la tête de mort aussi. La présence du drapeau de Sea sheperd sur ces coteaux, hissé au haut dun mât planté entre deux rangs, ne doit rien au hasard. Maîtresse à bord, Aurélie Carreau défend un territoire dédié à la nature et à un but : faire un vin « qui a la gueule du lieu ». Cest-à-dire sauvage, fruité et chaleureux. Comme elle. 

            Ces rangs de vigne sont accrochés à la colline comme une mèche rebelle sur ce coteau de grave, de calcaire et d’argile. Une terre qui descend lentement sur la Garonne, que l’on aperçoit depuis la terrasse du château et entre deux sous-bois, à quelques centaines de mètres de là. Le frottement du vent dans les feuilles, le son du clocher de Cambes, les piaillements des d’oiseaux heureux et le bourdonnement des insectes vous habilleront les oreilles pour l’été.

Ici, l’absence de chimie et de tonte font que la vie est partout. Les abeilles bossent dur, les bourdons bourdonnent et les grillons grillonnent. Et cliquette le filin métallique qui tient au sommet d’un mât de voilier fièrement planté sur le point culminant du domaine le drapeau à tête de mort de « Sea Sheperd » – l’ONG de pirates des mers qui luttent pour la protection des océans et de la vie qu’ils abritent.

Ici, les parcelles s’appellent Cordouan (comme le phare qui domine le terrain de navigation des propriétaires), Belharra (comme la vague mythique du Pays basque), Laminac (le nom des trolls qui peuplent ces mêmes terres basques) ou encore Arcadia, le navire du pirate Albator, un lointain cousin de la famille. Ici, tout semble pousser à contre-courant, en rébellion, libre et proche de la nature. Quoi qu’il en coûte. Et il en coûte beaucoup : en termes d’investissement personnel, de force de travail et de temps, pour maintenir à flot ce navire de verdure et de vie sauvage… Il n’y a pourtant pas, là, réellement d’équipage.

Il y a Aurélie Carreau, son lieutenant amoureux, ses enfants et son chien.

Elle maîtrise tout du haut d’une modestie incroyablement exigeante : il n’y a pas d’arrangements quand on parle du respect de la nature. Qu’importe le travail que cela réclame.

Son vin ressemblera à ses convictions ou ne sera pas.

Et il devra avoir le goût de ses terres.

 

Bienvenue à Mons La Graveyre…

 

            C’est pas la taille qui compte. Ora, le setter anglais -au nom de cépage de raisin de table- qui règne sur la propriété, qui sprinte entre les rangs, en conviendra bien : sa propriété ne fait que quatre hectares -peanuts !- mais tout y est vivant, ancré, multiple et dense. La jungle à taille d’insecte. Rock n’roll et rebelle comme la mèche blonde de la patronne. Rock n’roll et rebelle comme le tendre punk, chanteur torse nu qui la soutient au quotidien. Sur les murs du cockpit il y a des skates peints, des guitares, des planches de surf. Bienvenue dans l’univers de Mons La Graveyre : ici tout est animal, rebelle comme la mauvaise herbe, entier et périlleux comme l’est la vie du pirate. Tout est conviction et engagement : « Je voudrais que ce lieu soit un modèle social, économique, agro-économique. Montrer que l’équilibre de la permaculture peut rendre viable et écolo une exploitation, même toute petite comme la nôtre. On me demande souvent « Comment tu fais pour vivre avec seulement deux hectares plantés ? », mais je veux prouver que sur de toutes petites surfaces, à base dun domaine modeste qui fait de bons produits, on peut vendre à juste prix et en vivre. »

 

            Avant de reprendre « Mons », la pirate en chef a étudié l’oenologie, les sciences de la vigne et du vin dans l’environnement, obtenu une maîtrise de « biologie et environnement » et un DESS  en Sciences de la vigne et du vin : «Jai appris la technique de fabrication du vin et de dégustation mais c’était une formation assez conventionnelle, on ne sortait pas trop dun moule de production classique, on ne parlait pas trop de bio ni biodynamie. La biodynamie est venue à moi petit à petit, à l’époque on disait surtout que ça ne marchait pas. » 

San Francisco, Le Cap, Pomerol et Saint-Germain Dupuch

            À la fin de ses études, la soif de découvrir le monde infini du raisin et de sa vinification la poussent à l’étranger : « Je suis partie faire mon stage de fin d’études à côté de San Francisco comme salariée ouvrière agricole, puis jai validé mon diplôme en 2003. Puis je suis partie vinifier le millésime 2003 de Châteauneuf-Du-Pape. Jai travaillé chez un caviste parisien avant de partir en Afrique du Sud, travailler pour une coopérative qui vinifiait 16 000 tonnes de raisin par an. Ça a été une grosse claque perso. C’était seulement dix ans après la fin de lapartheid, il y a avait encore une ségrégation très importante. Ça se passait bien, on ma proposé de rester mais, du haut de mes 27 ans et vu le contexte, jai refusé. Jai alors été régisseuse technique à Saint-Germain-Dupuch, en Gironde, en Bordeaux supérieur et à Pomerol. Je manageais une équipe, javais un parc dengins et je gérais de la plantation jusqu’à la vinification. » Mais où qu’elle puisse passer, il manque un truc.

En effet, on ne peut pas être un bon commandant en second quand on refuse le cap fixé par le boss. Or, les méthodes conventionnelles, la chimie, le vin industriel à l’ancienne la hérissent : « Javais cette volonté daller vers le bio mais je nai pas su convaincre les proprios pour lesquels je bossais et javais vraiment du mal à travailler en conventionnel. Alors, acquérir mes propres vignes, c’était pour moi le seul moyen de me réaliser sur ce mode de culture. » Mutinerie en vue.

« Jai vu la pente, la Garonne, la diversité des terroirs… un vignoble à 110 mètres daltitude. »

Laissons-la parler : « Avec Stef, on a commencé à chercher une propriété pour un projet familial, une petite structure pour ne pas partir dans des risques financiers délirants, tout en cherchant de la qualité. En 2014 et 2015, on a visité plein de lieux rigolos, mais ça ne collait jamais. Stef commençait à en avoir ras-le-bol quand jai visité, seule, une toute petite propriété dans lEntre-Deux-Mers : jai vu la pente, la Garonne, la diversité des terroirs. Le sol, cest une croûte de grave, de largile, un vignoble à 110m daltitude avec vue sur la Garonne. C’était Mons La Graveyre. Je suis tombée totalement amoureuse. Jai dit à Steph : « Viens voir ! » Lui y a vu ce bâtiment agricole sur-dimensionné, il a tout de suite pensé quil pouvait se transformer en lieu dhabitation et en espace dexpression artistique. Mes parents nous ont soutenu, alors sest lancés. » Que vogue donc ta galère, jeune pirate…

Mais pour faire quel vin ?, as-tu pensé…

Avec 80% de Merlot et 20% de Cabernet-Sauvignon, une vinification classique et un élevage majoritairement dans des amphores (60% en amphores, 40% en barriques), Aurélie nous explique vouloir limiter les notes boisées : « Quand j’étais salariée à Pomerol, je suis arrivée au bout de ce goût de barrique. Je préfère davantage de fraîcheur et plus de fruit, grâce à lamphore qui conserve un côté assez cristallin, un éclat et une pureté. Je nai pas banni la barrique car elle apporte une complexité mais je ne veux pas quon la sente. » À la première dégustation, on est d’accord, le pari est réussi.

Soigner les plantes par les plantes

De février 2017 à mars 2020, le radeau prend le vent de la transition pour une certification bio. Plus loin encore dans la démarche éco-responsable, le millésime 2023 doit obtenir la certification Biodyvin : ici, « Les plantes sont nos alliées : grâce à lachillée, une plante vivace comestible dont je fais une infusion ou une décoction avant de la pulvériser sur les pieds, on diminue les doses de souffre. La plante agit comme un baume contre les brûlures. La prêle, la fougère et lortie, je les utilise comme anti-fongique. Ça me passionne de soigner les plantes par les plantes ! Jai une formation scientifique, alors jexpérimente. Intellectuellement, cest hyper stimulant et il y a encore tellement à apprendre, même si je sais que je naurai pas assez de toute une vie pour tout apprendre ! »

 

D’autant qu’il y a la vigne, certes, mais il y a aussi tout un éco-système qu’Aurélie fait grandir chaque jour un peu plus, pour varier ses cultures et laisser libre-cours à la biodiversité sur ses terres : après avoir planté quatre-vingt chênes truffiers sur une parcelle, des pêchers et des pruniers au milieu des rangs, celle qui veut tout tenter pour aller au bout de la droite ligne qu’elle s’est fixée veut « créer des marres pour avoir aussi une vie aquatique. » On ne pourra pas lui reprocher de ne pas être cohérente. Sur le domaine, sont déjà bien installées orchidées sauvages, glaïeuls, calendula et millepertuis qui accueillent oiseaux, insectes, serpents, fragiles et utiles chauves-souris (l’emblème du château) mais aussi chevreuils, sangliers, blaireaux, renards et rapaces qui nichent dans une zone infranchissable laissée vierge de toute intervention humaine.

Gang de moutons

Après les vendanges et jusqu’en avril, un gang de moutons vient piétiner, nettoyer et aérer le sol : « Nora, une éleveuse de Saint-Caprais, nous les emmène. Ensuite on déplace régulièrement leur parc sur toute la propriété mais, à terme, on aimerait en avoir toute lannée. » Planter des arbres, créer des espaces de développement libres d’écosystèmes sans intervention paysanne, tu vas où là, Capitaine ?

« Cette micro-ferme est un exemple de lutte contre le réchauffement climatique, on souhaite en faire un modèle agricole résilient, autonome, durable et vertueux : cest une « pompe biotique », cest-à-dire un lieu qui lutte contre le réchauffement simplement par sa variété naturelle. La monoculture, les champs à perte de vue, les rangs de 500 pieds, cest plus possible ! On se moque souvent de la taille de cette micro-ferme mais je pense quon peut atteindre, grâce à la permaculture, un équilibre économique et social, même avec de petites surfaces. Un domaine modeste qui fait de bons produits peut vendre à juste prix. » On en reparle dans cinq ans. En attendant, bon vent !

Gregory Lassus-Debat pour Tanin Taquin

 

 

Pour en savoir plus, écoutez le podcast avec Aurélie

 

 

 


 

Une genèse en forme de coup de gueule

Elle est gentille mais faut pas trop la chercher côté nature, quand même… « Jai travaillé dans une exploitation dont il fallait refaire larchitecture. On a fait un dîner avec le designer Philippe Starck. Il voulait voir quelle était notre politique environnementale. Le problème cest quil y en avait zéro. On lui a dit quon était nickel alors que pas du tout… Ils ne triaient même pas le verre ! » Big Château 0 – Convictions 1.

« Et puis ils mont fait abattre des cèdres vieux de 200 ans qui faisaient de lombre… à leur piscine. Cest là que jai compris que je ne pouvais pas rester, dautant que javais déjà vraiment du mal à travailler en conventionnel. » Big Château 0 – Convictions 2. Fin des arrêts de jeu, retour vestiaire solo.

Détonateur

Cette volonté d’aller vers le bio ne passerait donc pas par le salariat. Détonateur. Comme le dit Marion, son amie depuis la petite section de maternelle (!) : « Aurélie est quelquun de très solaire, elle est très drôle et elle a aussi beaucoup de convictions. Elle a un parcours dengagement éco-responsable très sincère et fort, dans une vraie dynamique écologique : quand on plante des arbres, cest bien quon pense à très long terme ! » Il fallait donc un navire dont payer le prix pour acquérir la liberté de choisir le cap. « Elle a toujours été si drôle et déterminée », nous dit Marion, admirative. « Et en même temps, comme toutes les femmes, elle doute beaucoup, mais elle fait bouger les lignes. C’est pour tout ça qu’on l’aime. » Nous aussi.


L’Amour, l’Amour, l’Amour…

Le punk châtelain

            Stef, cest lamoureux du château. Le punk au coeur tendre, chanteur torse nu d’« Agressive Agricultor », groupe mythique du Pays basque créé en 1986, une formation montée avec sa bande du lycée agricole. Ça ne sinvente pas… Originaire dHasparren, dans le Pays basque, issu dune famille dagriculteurs. Avec Aurélie, il aura Anouk et Edgard. 

Quand il a découvert Mons La Graveyre, lui y a « vu tout le potentiel artistique, ces grands murs idéaux pour faire des expos, ces espaces pour recevoir, ce lieu où les gens se sentiraient bien : « Aurélie arrive à faire un vin qui nous ressemble. Il a fallu un ou deux millésimes pour quelle se règle mais jai toujours trouvé quelle avait sa propre identité, et elle a réussi à intégrer toute la particularité de ce terroir en y mettant tout son coeur. Ce vin, cest elle. Elle a cette géo-sensorialité induite. Et puis elle intègre de nouvelles pratiques, elle expérimente et, au final, son vin a une âme. »

Un sacré coup

Et puis il y a eu les coups durs : « Le Covid nous a mis un sacré coup, Aurélie sest retrouvée un genou à terre, mais elle na pas eu envie dabandonner. Elle trouve toujours de quoi se relancer et, dans les deux-trois années qui viennent, on a de nouveaux paliers à franchir… Tout ça est riche, très riche ! Le bilan, en sept ans dexploitation, est très rempli : il y a beaucoup de personnes qui prennent du plaisir à faire partie de cette histoire et dans toutes ces rencontres et la reconnaissance reçue, on trouve une forme de plénitude. Pour tout ça, je suis fier de laccompagner, fier d’être son chéri, fier quon construise ensemble… » Mons, c’est un peu la crête vert fluo de l’Entre-Deux-Mers ! 

L’engagement, encore et toujours

Aurélie Carreau est membre du conseil dadministration de lITAB (Institut technique de l’agriculture biologique, une association d’utilité publique dédiée au développement de lagriculture biologique), commission vignes. Elle est également membre de lassociation « Agrobio Gironde », filiale départementale de la FNAB (Fédération nationale dAgriculture Biologique (FNAB).

 

Reportage réalisé par Grégory Lassus-Debat et Isabelle Birambaux pour Tanintaquin.com

Texte: Grégory Lassus-Debat

Photos et podcast: Isabelle Birambaux