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2015: La taxe soleil provoque la grogne des investisseurs

Le gouvernement espagnol a introduit en 2015 une taxe soleil, c’est à dire un impôt sur la production d’électricité provenant de l’énergie solaire. Cette décision a provoqué la colère des investisseurs. 

«Tous les consommateurs d’électricité doivent contribuer aux coûts du maintien du réseau électrique national et à la réduction de la dette du système électrique (estimée à plus de 21 milliards d’euros) ». C’est ainsi que José Antonio Soria, le Ministre espagnol de l’Énergie, de l’Industrie et du Tourisme, défend son impôt sur le soleil comme une mesure destinée à «encourager les énergies renouvelables». Car selon lui, « l’autoconsommateur ne paie ni le montant de l’énergie ni les impôts comme la TVA, ni les taxes d’installation ».

Des autoconsommateurs incrédules

Ces autoconsommateurs, c’est à dire à tous ceux qui produisent leur propre électricité avec des panneaux solaires, ne partagent pourtant pas son avis. C’est le cas d’Antonio Quijada, ingénieur de 31 ans, qui a investi 2000 euros pour installer sur le toit de son immeuble deux panneaux photovoltaiques. Antonio produit de l’électricité pendant la journée, puis, le soir, il se reconnecte au réseau traditionnel. Son installation lui permet d’économiser 20% de sa facture d’électricité mais il assure « la payer tous les mois comme tous les autres consommateurs ».

Antonio Quijada sur le toit de son immeuble à Lavapies

 

Antonio est membre d’Ecooo, la plateforme pour la démocratisation des énergies renouvelables. Son compagnon de bataille, Juan José del Valle, responsable technique chez Ecooo, affirme que les arguments avancés par le gouvernement « visent à manipuler ». Il explique que l’énergie produite pendant la journée via des panneaux solaires est en général déversée gratuitement dans le réseau électrique. Non seulement ces petits producteurs « donnent leur excédent produit à une compagnie d’électricité, mais en plus, celle-ci la revend. Il serait normal qu’ils reçoivent quelque chose, non ? », comme c’est le cas dans d’autres pays, dit-il, dépité.

Pour le moment, Antonio Quijada n’est pas encore concerné par la nouvelle loi, car le ministre a décidé d’exempter de la taxe les petits consommateurs de moins de 10kw. Cependant, cette législation pénalise actuellement les entreprises désireuses d’investir dans ce secteur. Juan José del Valle cite l’exemple d’une fabrique implantée à Madrid, qui souhaitait faire des économies d’énergie en misant sur le solaire pour être plus compétitive : «En Espagne, ses coûts d’électricité étaient plus chers que pour ses autres sites en Europe. Elle a donc misé sur le solaire. Avec la taxe sur le soleil adoptée vendredi, l’entreprise va devoir réviser à la baisse ses prévisions d’économie.»

Panneau solaire installé sur un toit dans le quartier madrilène de Lavapies

Convaincu qu’il sera plus compétitif

Pour Ricart Jornet, propriétaire du restaurant de plage Lasal del Varador dans la région de Barcelone, « cette loi n’a aucun sens ». « L’Espagne a beaucoup de soleil et une électricité chère, c’est idéal pour rentabiliser une installation photovoltaique », dit-il. Ce pionnier de l’autoconsommation solaire en Espagne, a installé en 2013 une centrale de 8 Kw sur le toit de son restaurant, juste un an après la suppression des primes à l’énergie solaire. Une initiative qui lui valut un prix d’innovation à la foire intersolaire de Munich en Allemagne. Ce fervent défenseur de l’environnement, premier client de la coopérative d’énergie renouvelable Som Energia, n’agit pas seulement par conviction écologique.

Déterminé à se battre

Homme d’affaires avisé, il est convaincu que dans huit ans, il sera « plus compétitif que n’importe quel restaurant du coin » parce qu’il paiera « moitié moins d’électricité. En 2013, sa facture d’électricité s’élevait à 12 000 euros contre 5500 euros l’an dernier. Ricard est déterminé à se battre contre cet impôt, qui une fois appliqué, retardera son retour sur investissement de plusieurs années.

D’ailleurs, la menace de l’impôt qui plane depuis deux ans ne l’a pas empêché d’installer cette année 41 autres panneaux solaires. Il a ainsi augmenté sa production à 21 kW et son investissement total à 42500 euros. « Je ne me fais pas de souci », dit-il. « Dans quelques mois, on va éjecter le parti populaire ». Un avis partagé par son compagnon de lutte, Frédéric Andreu, fondateur de l’entreprise d’installation solaire SolarTradex, qui accuse le gouvernement de Mariano Rajoy de protéger les grandes compagnies d’électricité avec cette loi en freinant le développement du solaire.

Les gros investisseurs sont montés au créneau

Du côté des gros investisseurs, même indignation. C’est le cas du fonds Masdar Solar de l’Emirat d’Abou Dhabi qui a déposé une plainte contre le gouvernement espagnol auprès du tribunal d’arbitrage international. La raison: la mise en place du plan d’austérité qui a fortement affecté les énergies renouvelables.

Masdar Solar possède 40% des parts de la société Torresol Energy, société créée en 2008 avec Sener, un groupe d’ingénierie espagnol. A eux deux, ils avaient construit l’immense centrale solaire Gemasolar, qui avait la capacité de produire jour et nuit de l’électricité. La centrale, située à Fuentes de Andalucia en Andalousie, occupe une superficie de 185 ha, soit l’équivalent de 260 terrains de football. Ses 2650 miroirs de 120 mètres carrés chacun concentrent les rayons du soleil en un seul point.

Un petit bijou qui avait coûté 240 millions d’euros. On comprend mieux la grogne des investisseurs.

Publié en 2015

Pour en savoir plus, lire l’article Le soleil se remet à briller en Espagne du 11 novembre 2020